1
Portraits

«Grâce à mon hibou, je suis plus attentif»

En Basse-Engadine, on le surnomme l’«homme-hibou»: Werner Fischer, de Ftan (GR), est l’une des rares personnes en Suisse à détenir un grand-duc d’Europe. Tous les soirs, il part en randonnée avec lui, afin que l’oiseau puisse suivre ses instincts naturels.
05.09.2025 • Texte: Angelika Imhof, Photos: Claudia Alini

Werner Fischer nous accueille en tenue de travail, avec un sourire chaleureux. Il ne nous attendait pas avant une demi-heure. Ce n’est toutefois pas un problème pour cet homme qui vit presque en autarcie à la périphérie du village de Ftan. Il est connu dans la région sous le nom de «l’homme au hibou». Mais avant de faire la connaissance de son hibou grand-duc, Werner nous montre ses poissons – d’imposants ombles du Canada qui peuvent atteindre 1 mètre de long. Les «Canadiens» plus jeunes et plus petits, comme Werner les appelle, constituent sa source de protéines hebdomadaire, et le grand-duc d’Europe en consomme aussi régulièrement.

Après l’observation des poissons, nous nous tenons devant la volière spacieuse. Perchée paresseusement et profitant du soleil de l’après-midi, les yeux à demi-fermés, nous la découvrons enfin: Bubo, la femelle hibou grand-duc de Werner. L’homme de Ftan pénètre dans l’enclos et s’approche doucement d’elle. Sa main gauche est recouverte d’un gant de fauconnerie. Rapidement, Bubo grimpe sur son bras avec curiosité. Werner la caresse délicatement sur la poitrine et le hibou lui mordille les doigts. Peu après, nous partons en randonnée à quatre, directement depuis la maison de Werner. Nous montons le versant en direction de Naluns.

1

Werner Fischer avec sa dame, Bubo, un hibou grand-duc

Werner, comment se fait-il que tu possèdes un grand-duc d’Europe?  

Mon père était biologiste et s’occupait régulièrement d’animaux blessés dans un centre de soins. Un jour, il a accueilli un hibou grand-duc. A 12 ans, je l’ai aidé à prendre soin de l’oiseau et à préparer sa réintroduction à l’état sauvage. Cela m’a marqué. Il y a environ huit ans, le zoo Lange Erlen à Bâle a fait s’accoupler des grands-ducs spécialement pour moi et j’ai donc Bubo depuis qu’elle a une semaine.

Tout le monde peut-il avoir un hibou?

La détention d’un animal sauvage est soumise à de nombreuses obligations et formations. J’ai par exemple dû suivre la formation de chasseur et de fauconnier, afin de pouvoir garantir un élevage le plus respectueux possible de l’espèce. Elever un hibou pour la fauconnerie demande beaucoup de temps et d’engagement. Cela m’aide de n’avoir ni téléviseur ni téléphone portable, qui pourraient me distraire.

1

Dans la montée au-dessus de Ftan, où Werner et Bubo viennent souvent se promener.

Qu’est-ce qui te fascine chez cet animal?

Bubo est un animal inhabituel et exigeant. Ce n’est pas un animal de compagnie ordinaire, comme un chien ou un chat. Je suis moi-même un peu spécial, c’est peut-être pour cela que nous allons si bien ensemble. Je l’admets franchement: je suis un drôle d’oiseau. Nous formons ainsi un bon duo.

Bubo reste presque stoïquement assise sur le bras de Werner pendant que nous prenons de la hauteur. Elle dégage une impression de calme et de sérénité, à l’image de son propriétaire. Werner semble lui aussi être un homme tranquille, qui choisit ses mots avec soin et ne fait jamais de mouvements brusques.

Depuis de nombreuses années, il enseigne le sport et les activités créatrices en Basse-Engadine. Bubo l’accompagne souvent et somnole confortablement dans un coin de la salle de classe. L’enseignant qu’est Werner transparaît aussi à plusieurs moments de la randonnée. Après tout, la photographe Claudia Alini était autrefois son élève. «Pourquoi les rapaces ne font-ils pas vraiment concurrence au grand-duc d’Europe?», nous demande-t-il. Dans le ciel, les buses et les aigles volent en cercle. Le grand-duc leur jette un regard intéressé, mais n’est pas impressionné. Werner explique: «Les rapaces et le grand-duc d’Europe ont certes les mêmes proies, comme les souris, mais les premiers sont actifs la journée et le second la nuit. Ils ne se gênent donc pas.»

1

Les yeux de Bubo ont un éclat ambré semblable à celui des aiguilles de mélèze.

Au cours des trois heures de randonnée suivantes, Werner nous apprend encore plein de choses sur le grand-duc d’Europe. Par exemple qu’il est le plus grand des hiboux. Ou qu’environ 200 grands-ducs vivent encore à l’état sauvage en Suisse et que les effectifs sont stables, mais faibles. Que les grands-ducs peuvent vivre jusqu’à 50 ans en captivité et que leur seul ennemi naturel est l’être humain, qui menace leur habitat. Il devient vite évident que Werner parle plus volontiers de l’animal que de lui-même.

Un peu plus tard, nous croisons cinq personnes sur le chemin de randonnée. Elles sont émerveillées de découvrir Bubo. Tout en photographiant le hibou, elles demandent avec excitation: «Est-ce un vrai? Quel âge a-t-il? Combien pèse-t-il?» Werner répond patiemment. Il a l’habitude. Bubo attire tous les regards.

A quelle fréquence randonnes-tu avec Bubo?

Tous les jours, plus précisément, tous les soirs. La plupart du temps, nos sorties durent une à deux heures, mais j’ai déjà marché jusqu’à huit heures avec elle.

Où pars-tu randonner avec elle?

Le plus souvent, là où nous sommes actuellement, dans les environs de Ftan. C’est très paisible ici et nous ne rencontrons généralement que peu de gens. La randonnée n’est toutefois pas une fin en soi, mais un moyen: mon grand-duc d’Europe ne se nourrit qu’à l’extérieur de la volière et peut alors suffisamment voler librement.

Bubo part donc à la chasse?

Une chasse simulée, oui. Dans le canton des Grisons, les dispositions sont très strictes et les hiboux en captivité n’ont pas le droit de chasser des animaux vivants. Du coup, j’attache un rat mort à une longue corde, puis je le cache dans l’herbe et je tire ensuite rapidement dessus. Cela réveille l’instinct de chasse de Bubo. Les grands-ducs sont des chasseurs à l’affût: ils s’assoient dans les branchages et attendent d’apercevoir leur proie. Le temps de vol proprement dit n’est souvent que de quelques minutes par chasse.

Pourquoi Bubo revient-elle chez toi après la chasse? Tu lui manques?

Non, il ne faut pas romantiser cet attachement. Elle revient parce qu’il y a de la nourriture chez moi. L’important est la quantité exacte de nourriture. Si je lui en donne trop, elle ne reviendra pas. Si je lui en donne trop peu, elle sera désagréable, tout comme nous les humains. Pour pouvoir calculer la bonne quantité de nourriture, je la pèse tous les jours. Elle pèse actuellement 2,1 kilos, ce qui est optimal.

Nous gravissons tranquillement le versant. Les mélèzes brillent d’un éclat doré et les colchiques d’automne fleurissent dans les prairies. En face, les sommets enneigés du Piz Nair, du Piz Pisoc et du Piz Lischana s’élancent dans le ciel. Nous nous asseyons sur deux bancs de granit – «de loin les plus beaux», souligne Werner. Tandis que Bubo s’installe confortablement sur le dossier et fait sa toilette, Werner sort la tourte aux noix des Grisons pour tout le monde. Il en tend aussi un bout à Bubo, mais elle n’est pas intéressée et tourne ostensiblement sa tête dans l’autre sens. Werner n’est pas surpris. «Les grands-ducs ne mangent que de la viande et du poisson. Exclusivement des protéines. En plus des rats et des poissons que j’élève, je chasse aussi des marmottes pour Bubo et moi.»

Soudain, Bubo est prise d’un haut-le-cœur. La photographe et moi nous regardons avec inquiétude, mais Werner reste imperturbable. Cela dure près d’une minute, puis nous entendons un «plop» et une boule humide de poils, d’os et d’écailles tombe dans la main tendue de Werner. «La pelote de réjection», constate-t-il. «Une fois par jour, Bubo régurgite les restes d’aliments indigestes. Puis son appétit revient peu à peu.»

1

Einmal täglich würgt der Uhu das sogenannte Gewölle hervor.

Nous reprenons lentement le chemin du retour. Werner marche un peu devant nous et profite d’un moment de calme. Pour tester, la photographe et moi appelons plusieurs fois «Bubo», et effectivement, le grand-duc d’Europe tourne sa tête de 270 degrés et nous fixe quelques secondes de ses yeux orange vif.

Bubo peut tourner la tête à 270 degrés.

Qu’aimes-tu particulièrement chez ta compagne de randonnée?

Je suis plus attentif à la nature quand je l’ai avec moi. J’observe ce qu’elle observe et ce à quoi elle réagit. Elle est ma compagne idéale.

Peu avant d’arriver à la petite oasis de Werner, le grand-duc d’Europe est soudain effrayé. Un chien. Il ne s’agit que du bouvier bernois voisin, que Bubo connaît pourtant bien, mais elle ne l’a pas vu venir. Werner l’apaise d’une voix grave.

A-t-elle peur des chiens?

Ils lui inspirent le respect. Si je devais aujourd’hui refaire son éducation, je la pousserais à se familiariser avec un chien dès le plus jeune âge.

As-tu aussi des objectifs pédagogiques avec ton hibou grand-duc? Par exemple quand tu l’emmènes à l’école ou au jardin d’enfants?

Oui, en partie. Je peux encourager une prise de conscience et une compréhension de cet animal particulier, de sa protection et de ses besoins.

1

Die Pause nützt Bubo, um sich zu putzen.

1

Portrait

Werner Fischer est guide de montagne, professeur de sport et d’activités créatrices et vit à Ftan (GR). Il attache de l’importance à un mode de vie durable. L’homme de 66 ans a créé un petit centre de soins cantonal pour oiseaux, où il accueille des hiboux et des rapaces. Il s’engage depuis des années pour une meilleure protection des habitats des grands-ducs d’Europe.

Angelika Imhof

Plus d'informations

Claudia Alini

Plus d'informations

Mots-clés

Sud-Est de la Suisse Magazine LA RANDONNÉE

En cliquant sur un mot-clé, vous pouvez l'ajouter à votre compte d'utilisateur et obtenir des contenus adaptés à vos centres d'intérêt. Les mots-clés ne peuvent être enregistrés que dans un compte d'utilisateur.

L'article a été ajouté au panier